Jazz 5 - Dave Brubeck Quartet - Take five

06 février 2023 - 122x
 
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"Je n'aime pas le jazz mais ça j'aime bien" : peut-être connaissez-vous ce concept fort qui propose en deux volumes une initiation au jazz // avec / une compilation idéale en plusieurs CD, réunissant environ 120 titres, les plus marquants et les moins 'prise de tête' entre guillemets, par quelques-uns des interprètes les plus connus que cette musique nous a donnés.
Dans ce catalogue précieux et varié édité par le label Sony et illustré par des dessins de Sampé figure « Take five », un titre instrumental de 2mn56 du Dave Brubeck Quartet.

C’est avec ce morceau d’anthologie que nous bouclons notre série sur le jazz : ce genre musical né aux Etats Unis au début du précédent millénaire, combinaison et croisements de musique ouest-africaine et européenne.
Donc ! Pas question aujourd’hui de nous attarder sur les bases et les caractéristiques de l’harmonie jazz : les intervalles, la construction et le chiffrage des accords, les gammes utilisées pour l’improvisation, les blue notes*, et la syncope par exemple. 
Mettons cela de côté et contentons-nous de tendre l'oreille, à l'écoute et à la découverte peut être pour certains, d'un standard incontournable de ce style.

« Take five » est une pièce instrumentale dont l’air se sifflote avec aisance. Ce morceau repris par de nombreux interprètes a obtenu un succès international, bien au-delà du périmètre restreint du jazz.
Et presque tout le monde a déjà entendu cette mélodie au moins une fois dans sa vie.
Le titre vient probablement d'un jeu de mot sur l'expression anglaise « Take five », qui peut signifier « Pause de cinq minutes ».

En 1961, Dave Brubeck déclara au critique et animateur Ralph Gleason dans l'émission télévisée californienne Jazz Casual ; que le jazz avait perdu certaines de ses qualités audacieuses.
Il affirmait que celui-ci ne défiait plus le public de manière rythmique comme il l'avait fait à ses débuts.
"Il est temps que les musiciens de jazz reprennent leur rôle initial d'entraîner le public dans un rythme plus aventureux", déclarait-il. Brubeck avait donc l’intention, avec ses musiciens, de secouer un peu les choses. Et c'est exactement ce qu'il a fait avec la chanson « Take five » et plus globalement avec l'album « Time out » qui se voulait novateur à l’époque, grâce à une expérimentation de signatures rythmiques inhabituelles dans le jazz.

« Take five » était la troisième plage sur cet album d’un peu plus de 38mn avec 7 morceaux, enregistré en 1959.
C'était l'année où Miles Davis et Gil Evans ont initié le public de jazz à la musique modale, avec l'album historique « Kind of blue » alors que John Coltrane sortait l’immense « Giant steps ».
Beaucoup de nouveautés se produisaient dans le jazz à cette époque, mais rythmiquement, la musique était encore jouée principalement en quatre temps.

Brubeck s'est toujours intéressé à la polyrythmie et à la polytonalité. Des notions qui animent la musique africaine mais qui sont aussi étroitement liées au classique.
Columbia, le label du célèbre pianiste n'était pas au courant de ses projets de bousculer la norme d’alors. Quand il leur a finalement fait part de ce sur quoi il travaillait, le service marketing est devenu nerveux à l'idée de sortir l'album.
Ils voulaient des classiques de Broadway, des airs standard et des chansons d'amour. L’album est sorti en 1960, mais uniquement parce que le président de Columbia, Goddard Lieberson, est intervenu. Celui-ci aimait vraiment beaucoup ce que faisait Brubeck.
Ainsi, au lieu de retravailler des standards de jazz ou des airs du moment, il y avait « Blue rondo à la Turk », une chanson en 9/8, ainsi que « Pick up sticks », « Strange meadow lark » et « Take five » qui était un ajout de dernière minute.
Une grande partie de l'album était sur le point d'être finalisé lorsque Brubeck a décidé d'ajouter cette mélodie jouée sur un rythme à cinq temps ; soit 5 noires par mesure, ou 5/4, rythme rarissime dans le jazz des années 1950, et dans la musique en général.

"Dave avait l'habitude de me présenter tout le temps pour le solo de batterie", explique le batteur Joe Morello. "Alors je partais en 5/4. C'est comme ça que tout a commencé.
Puis j'ai demandé à Dave : toi qui es le compositeur du groupe, pourquoi n'écrirais-tu pas une chanson complète avec cette base rythmique ? Finalement, c’est Desmond qui a dit : je vais le faire !"
Morello faisait référence au saxophoniste alto Paul Desmond, qui a joué pour la première fois avec Brubeck à la fin des années 1940 avant de rejoindre son trio en 1951 pour en devenir une pièce maîtresse.
Desmond est crédité d'avoir composé « Take five », mais l’ensemble et le résultat final était un projet de groupe, avec Desmond fournissant deux idées principales, deux thèmes mis ensemble que Brubeck a mis en forme.
"Nous répétons le premier thème, puis nous progressons vers ce que nous appelons un pont, pour revenir au premier thème, et improvisons ensuite sur le changement d'accord en Mi bémol mineur. On ajoute un solo de batterie et le tour est joué."

Le quatuor a enregistré la mélodie en deux prises, et quand cela a été fait, Paul Desmond a pensé que la pièce était juste bonne à jeter.
« Take five » est devenu la face A d'un disque 45 tours, uniquement parce que l'autre succès de l’album "Blue rondo à la Turk" était un titre trop long pour que les disc-jockeys puissent le passer à l'antenne.

« Take five » qui demeure à ce jour un des singles de jazz le plus vendu de tous les temps a donné naissance depuis à un certain nombre de compositions de jazz en cinq-quatre temps écrites par de nombreux musiciens.
C'est un standard de jazz à part entière qui resta une condition requise pour Dave Brubeck chaque fois qu'il jouait en live.

La version en public instrumentale et vocale que nous allons écouter maintenant va nous permettre d’apprécier une belle association artistique, un peu éloignée de l’originale.
Avec ce « Take five live » qui est un album en public de 1962 enregistré à New York, la chanteuse de jazz vocal américaine Carmen McRae est accompagnée au piano par Dave Brubeck et un très discret saxophone.

« Ne veux-tu pas t'arrêter et prendre un peu de temps avec moi » : chante Carmen McRae. « Just take five ! Prends juste cinq minutes. Arrête ta journée bien remplie ! Et prends le temps de voir si j’existe ! »

Il est indéniable que le jazz fait partie intégrante du monde moderne et qu’aujourd’hui, il est universellement répandu.
On ne peut plus le considérer comme une simple mode. C’est une musique qui s’écoute.
Réservé il y a cinquante ans à une élite d’initiés, à la ferveur jalouse, le jazz a conquis un public immense. Cette forme musicale provoque souvent chez l’amateur le même genre de délectation qu’un morceau classique. Que d’autres fibres soient atteintes est évident, mais le connaisseur goûte la valeur d’une improvisation, ou d’une harmonie, aussi bien en écoutant Miles Davis que Bartok.
« Take five ». Il est maintenant temps de prendre les 5 mn requises pour écouter ça !

Dave Brubeck & Carmen McRae - Take five 1961

*Dans le jazz ou le blues, la note bleue est une note jouée ou chantée avec un léger abaissement, d'un demi-ton au maximum, et qui donne sa couleur musicale au blues, note reprise plus tard par le jazz.

Liens :
Dave Brubeck & Carmen McRae - Take five (1961)

https://youtu.be/3qIwH5Kt7xw
 
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