L'épisode qui amène à la création de ce tube planétaire s'inscrit dans un processus maintes fois répétés dans l'histoire du rock et de la pop avec quelques collisions artistiques plus ou moins retentissantes.
Pas de « Solsburry Hill » sans l'album éponyme génial de Peter Gabriel, quittant de manière inattendu le vaisseau Genesis, ni d’« English man in New York » sans ces tensions atteignant un point de non-retour entre Sting et les autres membres du groupe Police.
Devenu obèse vers la fin de sa vie, et contraint à ne plus pouvoir se déplacer comme il l’aurait souhaité, il semble bien que c'est sur son lit de mort que Mozart écrivit son célèbre « Requiem ».
Le papillon Calogero a pu déployer pleinement ses ailes en quittant le groupe Charts en 1998.
Et Goldman en cessant à ses débuts sa collaboration avec Thaï Phong ne nous aurait peut-être pas gratifié d'autant de belles chansons.
La liste est longue de tous ces albums, concerts, chansons, succès dont le public aurait été privé, peut-être, sans ces remous et fracas dans l’univers de la musique.
Ainsi « Love is all », qui n’a pris aujourd’hui que peu de rides, arrive en 1973, alors que son auteur se fait virer du groupe de hard rock Deep Purple, qu'il réintégrera d’ailleurs onze ans plus tard. Un vieux groupe donc que vous pourrez voir en concert si vous les appréciez à la foire de Colmar l’été prochain // si le covid 2022 ne refait pas trop des siennes.
Au passage, je rappelle que l'idée du titre du morceau « Smoke on the water » de Deep Purple vient de Roger Glover, le créateur de « Love is all ». Elle fait suite à l'incendie du Casino de Montreux en Suisse et de cette fumée qui glissait sur les eaux du lac Léman.
Deep Purple qui était entré en 1972 au Livre Guinness des records en tant que groupe de rock le plus fort du monde, ayant été mesuré à 117 décibels lors d'un concert londonien.
Mais ce que je raconte là nous emmène bien trop loin dans le passé et nous écarte un peu de notre sujet du jour.
« The butterfly ball and the grasshopper's feast » en français « Le bal du papillon et de la sauterelle » est un album-concept, une sorte d'Alice au pays des merveilles sous psychotropes, dans l'esprit mi-comédie musicale, mi-rock psyché.
Il est le fruit de l'imagination du bassiste Roger Glover qui l’a écrit, composé et produit.
Paru en 1974, il rassemble plusieurs artistes de différents horizons issus essentiellement de la scène heavy rock, à une époque où ce n'était pas trop bourrin: les plus connus ou impliqués étant David Coverdale, Glenn Hughes et Ronnie James Dio.
Le court-métrage d'animation de « Love is all », est particulièrement connu en France pour avoir été utilisé à partir de 1975 sur Antenne 2.
Cette chaîne publique qui le diffusait comme interlude pour remédier aux plantages techniques, c'est-à-dire assez fréquemment.
Sa diffusion était donc aléatoire, ce qui a contribué à le rendre mythique à une époque où les magnétoscopes étaient rares dans les foyers français.
C'était donc une Madeleine de Proust pour tous ceux qui, comme moi, avaient l'âge de regarder la presqu’antique télévision de cette époque.
(Une madeleine de Proust est toute chose qui replonge une personne dans son enfance, tout comme l'odeur des madeleines qui ramenait l’écrivain Marcel Proust à sa prime jeunesse.)
Dans le concept initial du bal du papillon et de la sauterelle, il était prévu un long-métrage d’animation en parallèle de l’album, qui en aurait été la bande son.
Finalement, le projet n’a pas complètement abouti, et seule la chanson « Love is all » a été illustrée en dessin animé. Le clip de la chanson est l'un des tout premiers construits entièrement en animation.
Ce clip de « Love is all » est finalement devenu culte auprès de toute une génération. On y retrouve une grenouille troubadour entraînant dans son sillage une ribambelle d’animaux : taupes, escargots, sauterelles, qui chantent à tue-tête, un bestiaire tout droit sorti d'un livre de Lewis Carroll. (Ref : Alice au pays des merveilles / The Walrus and the carpenter : Le morse et le charpentier)
« Love is all » et toute l'imagerie liée au court métrage avec ses animaux chantants dans une ambiance de fête, ont été recyclés deux fois : dans une publicité d’abord, pour une célèbre marque de sirop.
Vers les années 1990, en France, Sironimo Cusenier (concurrent de Teisseire et autres Guiot, Bigallet et Monin) associe son image avec la chanson, dans un spot publicitaire reprenant les images du clip officiel. La marque de ce sirop avait des bouteilles en forme de quilles.
On retrouve quelques années plus tard une bonne reprise du groupe Florabelle et la Mushroom Family, où la technique des images de synthèse se substitue à l'animation traditionnelle du court métrage original.
Et puis Sacha Distel qui était, avec d'autres, un coutumier des reprises de titres anglais en fera une adaptation française sous le titre « Toutes les mêmes » avec des paroles complètement éloignées du texte original.
« Love is all » a été remixé en 2008 par un dénommé Gonzales pour le compte de la chaîne franco-allemande Arte afin de promouvoir son émission estivale Summer of the seventies, illustrée par un clip en animation 3D qui reste le seul intérêt d'une reprise peu convaincante et mollassonne. A noter aussi que le générique de fin de l'excellente comédie footballistique d'Olivier Dahan « Les Seigneurs » avec Omar Sy, José Garcia et Gad Elmaleh, inclura également la chanson originale.
Sur vingt titres du projet de Roger Glover, seul « Love is all » est passé à la postérité. Les raisons sont multiples : son rythme ternaire entraînant, son côté ballade mi-rock mi-pop, le passage valse au milieu du morceau qui ajoute un charme particulier à l’ensemble, ses chœurs gospelisés, et son texte qui fait inévitablement référence à « All you need is love » des Fab Four: les Beatles, dont les paroles reprenaient en boucle à la fin « …love is all you need… »
Le texte est gentiment fraternel, prônant la tolérance entre tous, malgré les différences : « Everybody's got to live together. Tout le monde doit vivre ensemble. Well, all you need is love and understanding.
Bien ! Tout ce dont tu as besoin c'est d'amour et de compréhension.
So, love your neighbour like you love your brother. Alors ! Aime ton voisin comme tu aimes ton frère !»
Comme tu peux le constater JP, c'est d'une biblique simplicité.
Version sirop papillon, quel spécialiste en musicothérapie ne recommanderait pas cet hymne flower power ?
On se l'demande !
Liens :
Roger Glover - Love is all
https://youtu.be/RW9OYsMn4ds
Sironimo - Love is all
https://youtu.be/Crq6FgZ55f4
Love is all (Remixé)
https://youtu.be/n7B3ZAkYHp0
Florabelle et la Mushroom Family - Love is all
https://youtu.be/VDvFKf1-Gzg
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